France – 12/07/2021 – energiesdelamer.eu. Partie 1 – La raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM) est un enjeu pour le développement des énergies renouvelables. Comment, en France notamment, celles-ci peuvent se développer dans un cadre juridique sécurisé, énergies renouvelables de la mer y compris ?

Séverine Michalak,  juriste, expert du droit des énergies marines renouvelables, analyse la notion de RIIPM dans les projets EMR à partir de différents jugements. C’est technique et passionnant !

Pour pouvoir se développer dans un cadre juridique sécurisé, les EMR doivent répondre à un certain nombre de contraintes. Séverine Michalak, juriste, expert du droit des énergies marines renouvelables analyse la notion de raison impérative d’intérêt public majeur RIIPM dans les projets EMR à partir de différents jugements.

Cette question environnementale se matérialise particulièrement dans l’épineuse notion de raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM)*, à laquelle doit répondre un projet afin de se voir octroyer l’autorisation de « destruction » d’espèces protégées au titre du code de l’environnement.

Cette notion introduite par la directive Habitat 92/43/CEE du 21 mai 1992, impose au juge un difficile et subtil arbitrage entre le respect de l’objectif fixé à l’article 2 de la directive, à savoir « la conservation des habitats naturels et de la faune et de la flore sauvages » d’une part, et la prise en compte, pour réaliser cet objectif, des « exigences économiques, sociales et culturelles, ainsi que des particularités régionales et locales » d’autre part.

Cette directive a été transposée en France par l’adoption des articles L. 411-1 et suivants du code de l’environnement. Ces articles posent une interdiction de détruire directement, de détruire l’habitat ou les lieux de reproduction de la faune et de la flore protégées, à laquelle il est possible de déroger de façon très restrictive afin de ne pas bloquer la réalisation de projets de construction et d’aménagement en raison de la seule présence d’espèces protégées sur les terrains concernés par l’opération.

Cette possibilité de déroger fait l’objet de l’article 16 de la directive transposée au I, 4° de l’article L. 411-2 du code de l’environnement, qui prévoit la possibilité de délivrance d’une « dérogation espèces protégées », qui peut être également délivrée dans le cadre de l’autorisation environnementale. Cette dérogation ne peut toutefois être octroyée, que si le projet répond à des « raisons impératives d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique » ou « pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l’environnement ». Ce dernier motif pourrait d’ailleurs tout aussi bien être invoqué s’agissant de projets ayant une influence bénéfique pour le climat.

Dans le cas de l’existence d’une RIIPM, le porteur de projet doit démontrer également « qu’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante » et que le projet ne nuira pas au maintien des espèces dans un état de conservation favorable. L’article L.414-4 VIII réitère la même possibilité de dérogation pour les sites Natura 2000.

Rappelons que l’arrêt de la CAA de Nantes du 6 octobre 2020 relatif au projet de ferme pilote « Provence Grand Large » à Fos-sur-Mer a relevé à ce propos des manquements aux articles L.411-2 et L.414-4 du code de l’environnement (atteinte aux zones Natura 2000) :

Concernant l’article L.411-2, la CAA précise que « l’exploitation des éoliennes flottantes autorisée par l’arrêté attaqué est susceptible d’entraîner la destruction, interdite par les dispositions de l’article L. 411-1 du code de l’environnement, de spécimens appartenant à une espèce animale protégée, notamment de puffins yelkouan, puffins de Scopoli et sternes caugek. Par ailleurs, contrairement à ce que soutient le ministre de la Transition écologique et solidaire, la circonstance que ces destructions seraient réalisées de façon accidentelle n’exempte pas la société pétitionnaire de l’obligation de solliciter une dérogation aux interdictions édictées pour la conservation d’espèces animales non domestiques et de leurs habitats en application du 4° de l’article L. 411-2 du code de l’environnement, dès lors qu’elle n’ignore pas la réalité du risque de destruction, par son activité, de spécimens d’une espèce animale protégée présente dans la zone d’implantation du projet »,

 

Et relativement à l’article L.414-4 du code de l’environnement (atteinte aux zones Natura 2000), le juge indique que « l’évaluation des incidences requises au regard des objectifs de conservation des zones de protection spéciale « Camargue », « Iles Marseillaises-Cassidaigne » et « Iles d’Hyères » (…) aurait dû conclure que la réalisation du projet porterait atteinte aux objectifs de conservation de plusieurs sites Natura 2000. Il en résulte également que le préfet des Bouches-du-Rhône ne pouvait autoriser le projet litigieux, à titre dérogatoire, qu’après avoir vérifié qu’étaient remplies les conditions prévues par le VII de l’article L. 414-4 du code de l’environnement ».

 

La CAA de Nantes a déjà eu l’occasion de reconnaître l’existence d’une telle RIIPM dans le cadre du projet de parc éolien en mer des îles d’Yeu et de Noirmoutier (Arrêts du 3 juillet 2020 n°19NT01512 et 19NT01583):

 

« il n’est pas contesté que le parc éolien en mer des îles d’Yeu et de Noirmoutier participe (…) à la réalisation du programme Vendée Énergie mis en place en 2012 qui a pour objectif de doubler la production d’électricité de ce département à l’horizon 2020 et permettrait de couvrir 8 % de la consommation régionale. Ainsi, et alors que les associations requérantes se bornent à soutenir que la France est un pays  » exportateur d’énergie électrique et n’a pas de besoin spécifique sur ce point  » et que  » l’énergie nucléaire ne produit pas de gaz à effet de serre « , la réalisation de ce parc éolien, d’une puissance de 496 MW, participe (…) à la mise en œuvre des politiques publiques menées aux niveaux européen, national et local, en vue de la réduction des émissions de gaz à effet de serre, de la lutte contre le réchauffement climatique et, plus globalement, de la préservation de l’environnement et répond, eu égard à sa nature et aux intérêts économiques et sociaux qu’il présente, à une raison impérative d’intérêt public majeur ». (c’est nous qui soulignons)

 

Outre l’éolien en mer, et en dépit d’un climat actuel de contestation de l’énergie éolienne, le juge confirme l’intérêt public majeur de cette forme de production d’électricité. En effet, le Conseil d’Etat dans son arrêt du 15 avril 2021 n°430500 (confirmation de l’arrêt de la CAA de NANTES, 5ème chambre, 05/03/2019, 17NT02791- 17NT02794) a reconnu le caractère de RIIPM de l’énergie éolienne terrestre en Bretagne (exploitation d’un parc éolien terrestre sur le territoire de la commune des Forges) :

 

« Pour apprécier si le projet litigieux répond à une raison impérative d’intérêt public majeur au sens des dispositions précédemment citées du code de l’environnement, la cour administrative d’appel, après avoir souverainement constaté que le projet consiste en la réalisation d’un parc éolien composé de seize ou dix-sept éoliennes d’une puissance totale de plus de 51 mégawatts permettant l’approvisionnement en électricité de plus de 50 000 personnes, a retenu que ce projet s’inscrit dans l’objectif, fixé par la loi du 3 août 2009 puis par l’article L. 100-4 du code de l’énergie, visant à porter la part des énergies renouvelables à 23 % de la consommation finale brute d’énergie en 2020 et à 32 % de cette consommation en 2030, conformément à l’objectif de la directive 2009/28/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables qui a imposé à la France un relèvement de la part d’énergie produite à partir de sources renouvelables de 10,3 % en 2005 à 23 % en 2020. La cour administrative d’appel a, en outre, relevé le caractère fragile de l’approvisionnement électrique de la Bretagne, résultant d’une faible production locale ne couvrant que 8 % des besoins de la région, et retenu que le projet s’inscrit dans l’objectif du  » pacte électrique « , signé le 14 décembre 2010 entre l’Etat, la région Bretagne, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), le réseau de transport de l’électricité (RTE) et l’agence nationale de l’habitat (ANAH), prévoyant d’accroître la production d’électricité renouvelable dans cette région. En jugeant que ce projet de parc éolien répond, en dépit de son caractère privé, à une raison impérative d’intérêt public majeur, la cour administrative d’appel a exactement qualifié les faits de l’espèce ».

Il est vrai que la Bretagne constitue la région dont l’approvisionnement est le plus fragile, en raison de la faiblesse de sa production régionale, qui ne couvrait, en 2015, que moins de 15 % de sa consommation, et ce malgré le Pacte électrique breton signé en 2010.

 

Le Conseil d’Etat en décidera-t-il de même en Région Sud PACA, moins « fragile » énergétiquement que la Bretagne ? En effet, la consommation y est couverte environ pour moitié par la production locale, tandis qu’en région Occitanie, l’équilibre demande/offre est quasi atteint, avec un léger déficit de production. Des objectifs de production d’énergie éolienne offshore sont certes fixés dans la PPE, mais le juge se contentera-t-il de cet argument pour qualifier le projet de RIIPM (voir notamment un arrêt du 24 janvier 2020 (n°19NT02054) dans lequel la CAA de Nantes n’a pas retenu le fait que des objectifs de production étaient fixés dans le schéma départemental des carrières pour prouver la RIIPM d’un projet d’exploitation d’une carrière de sables).

 

Ne serait-il toutefois pas paradoxal de la part du Conseil d’Etat de condamner d’une part dans sa décision du 1er juillet 2021 (n°427301) l’Etat à prendre des mesures supplémentaires pour respecter ses objectifs climatiques, et de respecter notamment l’article L.100-4 du code de l’énergie qui prévoit dans son point 4:

 

 » De porter la part des énergies renouvelables à 23 % de la consommation finale brute d’énergie en 2020 et à 33 % au moins de cette consommation en 2030 ; à cette date, pour parvenir à cet objectif, les énergies renouvelables doivent représenter au moins 40 % de la production d’électricité, 38 % de la consommation finale de chaleur, 15 % de la consommation finale de carburant et 10 % de la consommation de gaz ;

De favoriser la production d’électricité issue d’installations utilisant l’énergie mécanique du vent implantées en mer, avec pour objectif de porter progressivement le rythme d’attribution des capacités installées de production à l’issue de procédures de mise en concurrence à 1 gigawatt par an d’ici à 2024  » et d’autre part de ne pas qualifier les futurs projets éolien flottant en Méditerranée de RIIPM !

 

La question est primordiale, car, outre son analyse au cas par cas, la RIIPM doit se démontrer de façon autonome, d’une part vis-à-vis des deux autres conditions nécessaires pour obtenir une dérogation de destruction d’espèces, à savoir « qu’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle » (article L.411-2 4°code env.).

 

La notion d’autre solution satisfaisante fait écho à la séquence Éviter/ Réduire / Compenser, qui suppose en premier lieu de démontrer les raisons pour lesquelles l’impact sur les espèces peut être évité, en implantant le projet ailleurs, ce qui renvoie alors aux questions de planification des sites potentiels. Cette étape « éviter » est généralement mal appréhendée par les porteurs de projets, qui se précipitent vers la phase de compensation, sans démontrer au préalable, comme l’exigent les textes, le respect de la phase d’évitement. Ainsi, une autorisation octroyée à un projet qui, en raison de ses caractéristiques, aurait pu être construit à un autre emplacement moins impactant, voire pas du tout impactant pour les espèces protégées, sera sans doute annulé. A contrario, la CAA de Marseille a jugé que le peu de latitude sur l’emplacement d’un projet pouvait être justifié par le fait que la localisation était inhérente au projet lui-même (CAA Marseille 25 octobre 2016, Fédération pour les espaces naturels et l’environnement des Pyrénées-Orientales, n°15MA01400). Il ne pouvait donc pas y avoir de solution alternative quant à l’emplacement. Tel pourrait être le cas d’un emplacement choisi au regard de la force et la vitesse du vent pour maximiser le rendement des aérogénérateurs. La particularité dans le cadre des projets énergétiques, et notamment de l’éolien en mer, c’est que la localisation ne dépend pas seulement de l’opérateur mais également de l’Etat, et de contraintes liées aux réseaux gérés par RTE… ce qui rend la tâche plus ardue pour le développeur, qui se retrouve néanmoins seul devant le juge.

 

Quant à la 3ème condition, les dérogations délivrées doivent effectivement fixer la liste des espèces concernées par l’autorisation ainsi que les mesures prises par le pétitionnaire pour réduire l’impact de son projet sur les espèces dans le cadre de la séquence « éviter-réduire-compenser ». Dans le cas où certaines espèces présentes sur le site du projet sont omises au sein de la dérogation, cela constitue un motif d’annulation (CAA Bordeaux 13 juillet 2017, SAS PCE, n°16BX01364).

 

L’atteinte aux espèces

L’autonomie de l’analyse de la RIIPM s’applique d’autre part vis-à-vis des atteintes aux espèces. Autrement dit, les effets positifs de l’éolien en mer, les bénéfices, pour la société, pour l’environnement, sont appréciés par le juge de façon relativement indépendante des effets négatifs, des atteintes aux espèces, bien qu’il y ait  une sorte de mise en balance, comme le rappelle le Conseil national pour la protection de la nature dans l’avis défavorable émis le 2 mars 2021 à propos du projet d’implantation d’éoliennes flottantes pilotes (Provence Grand Large), à la suite de l’arrêt de la CAA de Nantes du 6 octobre 2020. Le CNPN pose ainsi la question :

« La raison impérative d’intérêt public majeur est-elle établie ? On peut en douter quand on estime la balance entre l’intérêt de produire une énergie douce et l’impact potentiel sur une avifaune méditerranéenne d’importance internationale, sur les mammifères marins et terrestres (chiroptères), reptiles et poissons en migration, dont les risques d’impact sont grands ». Si une telle question est posée concernant un projet de 3 éoliennes pilotes de 8 MW, qu’en sera-t-il des 2 projets de 250 MW (20 éoliennes de 12 MW) et de 500 MW (40 éoliennes) prévus par la PPE du 21 avril 2020 ? ».

 

Cependant, l’enquête publique qui vient de se tenir apportera probablement de nouvelles informations. Contacté par energiesdelamer.eu, EDF Renouvelables a déclaré : « L’enquête publique de Provence Grand Large a pris fin comme convenu le 30 juin. Nous avons pris connaissance des contributions.

Le rapport du commissaire enquêteur devrait être rendu et publié dans les semaines qui viennent ».

La seconde partie de l’analyse de Séverine Michalak sera publiée, demain, le 13 juillet 2021 et présentera les décisions relatives au résultat positif qui seul peut aboutir à une déclaration d’utilité publique. L’utilité publique du projet constitue ainsi une notion différente de l’intérêt général de celui-ci.

POINTS DE REPÈRE

31/05/2021 – Le projet de ferme pilote Provence Grand Large, situé au large de port Saint-Louis-du Rhône, continue. Le webinaire de vendredi dernier l’a démontré auquel environ 80 entreprises basées sur la façade Méditerranée ont participé. Parmi les autres éléments importants, William Tillet, premier prud’homme des pêcheurs du quartier de Martigues (qui s’étend de Sausset aux Saintes-Maries-de-la-Mer), a donné son accord relève le quotidien La Provence « On est prudents mais pas contre », résume-t-il.

Interview de Philippe Veyan, directeur de l’action territoriale et des autorisations chez EDF Renouvelables.

L’enquête publique relative à « Provence Grand Large » débute ce mardi. ITW de Philippe Veyan

 


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