France – Samedi 18/02/2017 – « Ils bougent » energiesdelamer.eu. « Les questions de l’énergie sont au coeur des fonctions de Préfet … et j’ai cinq objectifs pour la CRE ». Telles sont les déclarations de Jean-François Carenco, ancien préfet de la région Ile-de-France et de Paris qui avait sollicité le président de la République pour devenir président de la CRE qui sont reproduites ci-après. 

Il a été officiellement nommé à la présidence de la Commission de Régulation de l’Energie (CRE) en remplacement de Philippe de Ladoucette. Le décret a été publié vendredi au JO.
Fin janvier, François Hollande avait indiqué envisager de nommer M. Carenco à la présidence de la CRE en remplacement de Philippe de Ladoucette (ICI), dont le mandat est arrivé à échéance le 7 février dernier.
Soumise à l’approbation des deux assemblées du Parlement, la nomination de Jean-François Carenco a été approuvée à l’unanimité par la commission des Affaires économiques de l’Assemblée nationale et à une large majorité par celle du Sénat début février.

Le sénateur Jean-Claude Lenoir, président de la commission a rappelé que « la CRE était devenue, au fil des ans et des évolutions législatives, auxquelles nous avons participé, un acteur incontournable du secteur de l’énergie en France ; elle a su démontrer à la fois sa compétence et son indépendance, tant vis-à-vis des opérateurs que du pouvoir politique. Un épisode récent, l’opposition entre la CRE et la ministre de l’écologie sur les nouveaux tarifs d’utilisation des réseaux (TURPE), l’a bien illustré.

Cela m’amène à ma première question : comment comptez-vous maintenir, voire conforter, cette indépendance, en particulier face à un État dont votre prédécesseur avait justement souligné les contradictions, car tiraillé entre les intérêts des entreprises dont il est l’actionnaire, l’ouverture des marchés à d’autres opérateurs exigée par Bruxelles ou la préservation du pouvoir d’achat des consommateurs ?

En matière d’ouverture des marchés justement, lors d’une autre passe d’armes qui avait opposé, cette fois-ci, la CRE et le Médiateur de l’énergie, le régulateur avait eu l’occasion de rappeler que la concurrence n’était pas à l’origine de la hausse des prix de détail observée au cours des dernières années et qu’au contraire, elle avait permis l’émergence d’offres de marché plus attractives que les tarifs réglementés.

D’où mes deux questions suivantes, qui sont du reste très régulièrement soulevées, y compris au sein même de notre commission : en premier lieu, quel bilan tirez-vous de l’ouverture à la concurrence des marchés de l’électricité et du gaz et, le cas échéant, comment faire mieux ?

Ma deuxième question concerne la suppression possible des tarifs réglementés de vente pour les consommateurs résidentiels, qui est envisagée par la Commission européenne dans le quatrième paquet « Énergie ». Comment comptez-vous gérer cet épineux dossier, dont Laurent Michel, directeur général de l’énergie et du climat, nous a bien rappelé, la semaine dernière, qu’outre les questions de fond, ses implications pratiques seraient extrêmement difficiles à gérer au vu du nombre élevé de sites concernés ?

Enfin, quels sont les grands défis auxquels la CRE sera confrontée, selon vous, dans les années à venir (voir présentation audition compléte ICI ?

> Extrait de la présentation de Jean-François Carenco faite au Sénat le 8/02/2017 

« La liberté de choix, c’est une revendication nouvelle du consommateur, qu’il soit résidentiel ou industriel ; mais le vrai sujet, c’est son éventuel accompagnement. Faut-il forcer le consommateur à quitter son fournisseur historique ? Est-ce notre rôle ? Je n’en sais rien, le Parlement nous le dira…

Les prochaines étapes sont connues : décision du Conseil d’État sur le tarif réglementé du gaz ; fin demandée par l’Union européenne du dernier tarif réglementé sur l’électricité ; redéfinition à terme du tarif d’accès régulé à l’électricité nucléaire historique, l’ARENH, car le prix du marché risque de lui devenir supérieur.

À mon sens, l’enjeu réside aussi dans le contrôle sur les marchés, dans le rôle de la concurrence et dans la mise en oeuvre de la réglementation relative à l’intégrité et à la transparence des marchés de gros de l’énergie, dite REMIT.

Dorénavant, avec les nouvelles technologies, tout est possible. La libre concurrence et sa place dans le système énergétique sont des enjeux essentiels pour l’avenir, la défense du consommateur et le développement de l’industrie européenne. Nous en connaissons les tenants et les aboutissants, ils sont également contradictoires : monopole face à baisse des prix ; consommateurs face à producteurs ; idéologie face à pragmatisme ; construction européenne face aux replis nationaux…

Avec les propositions de la Commission européenne contenues dans le quatrième paquet « Énergie », avec les questions sur l’avenir du nucléaire et la montée des énergies décentralisées, les débats sur la concurrence ne s’éteindront à l’évidence pas. Tant mieux, mais quelle concurrence ? Celle au service d’une politique du meilleur prix, certainement, mais qui doit aussi assurer l’investissement à long terme, c’est-à-dire la sécurité des approvisionnements, la préservation de l’environnement et l’équilibre de l’Union européenne. Nous devons rechercher une telle optimisation et je pense que la concurrence est d’abord une capacité d’incitation à l’innovation.

En matière de défense du consommateur et de l’environnement, l’irruption du citoyen dans le processus de décision est un sujet nouveau.

Un mot sur les smart grids, le rôle des collectivités locales, les agrégateurs d’effacement, le cloud storage des réseaux face au stockage par les producteurs… Rien ne sert de regretter l’ancien monde avec des citoyens consommateurs silencieux et des contribuables résignés, ce n’est plus le système d’aujourd’hui ! Il nous faut nous réinventer et cela pose d’abord une question sociétale, avant d’être technique et économique. Sous couvert de questions très techniques – poids de l’énergie ou de la puissance dans le tarif réseau, stockage, autorisé ou non, pour les gestionnaires de réseau de transport, tarification du soutirage ou de l’injection pour l’autoproducteur-autoconsommateur… -, ce sont bien des sujets de société qui se dessinent. La CRE doit y apporter son éclairage pour que le Parlement trace la voie.

Certes, ces sujets touchent aussi les questions de la bande de sécurité de production et de son financement, ou du rôle respectif des gestionnaires de réseaux de transport et de distribution pour les niveaux de raccordement, mais ce sont bien des questions de société. En effet, grâce à l’évolution des techniques, nous avons la capacité de choisir tous les possibles.

La technique donne la capacité de créer un « entre-soi » énergétique dans un paysage qui est aujourd’hui chamboulé. Ce risque n’est pas négligeable et le Parlement doit y faire face, la CRE sera à ses côtés pour l’éclairer.

Troisième objectif : la défense de l’intérêt industriel. Un prix faible et un tassement concomitant de la consommation électrique ou gazière posent la question de la rentabilité économique. Le développement des véhicules électriques peut changer la donne en puissance appelée, mais il faut être vigilant pour que ce ne soit pas le cas en termes de puissance à appeler. C’est une question d’étalement des périodes de charge.

Il appartient au Gouvernement de tout faire, avec vous, pour préserver l’appareil industriel énergétique français – c’est l’une de mes convictions -, tant pour la production lourde que pour les techniques des énergies renouvelables, du stockage, de la production de base ou de l’ingénierie. Sommes-nous loin du rôle de la CRE ? Je ne le crois pas. S’il vous revient, avec le Gouvernement, de trancher, vos décisions doivent s’appuyer sur des analyses objectives, équilibrées, impartiales et indépendantes, que la CRE peut et doit réaliser. Je souhaite qu’à la CRE, la défense de l’emploi ne soit pas hors sujet.

Quatrième objectif : l’environnement et la transition énergétique. C’est une évidence, il faut diminuer l’empreinte écologique de notre système de production. Un jour, vous aurez à décider ce qui va se passer pour les centrales à charbon et les énergies fossiles.

La dynamique des énergies renouvelables a été enclenchée par Jean-Louis Borloo – je le dis avec un plaisir non dissimulé. L’enjeu des prix persiste et il me semble encore nécessaire de les soutenir, même si les coûts de revient baissent. Ce soutien n’est pas sans effet sur les prix fixes, en particulier du fait de l’ancienne CSPE. Cette régulation concerne évidemment la CRE, mais le Parlement a tranché la question de la forme de ce soutien : un prix de marché avec prime, après appel d’offres, en lieu et place de l’obligation d’achat à prix fixe. In fine, les énergies renouvelables triompheront, comme elles le font déjà dans de nombreux pays.

Divers sujets se posent encore sur ces énergies renouvelables et restent importants : les zones non interconnectées, les niveaux de raccordement, le power to gas, procédé fascinant qui permet le stockage de la surproduction des énergies renouvelables grâce à leur transformation en hydrogène ou en méthane de synthèse – un tel projet démarre à Fos-sur-Mer. On le voit, les énergies nouvelles sont un enjeu gigantesque, quelle que soit leur forme.

La moindre consommation d’énergies fossiles est une nécessité. Les énergies au charbon sont condamnées – ce sera au Parlement de le décider de manière définitive -, mais le vrai sujet aujourd’hui, c’est le maintien ou non des centrales à cycle combiné gaz ; plusieurs questions se posent : le prix, les certificats de capacité, la mise sous cocon des centrales… Cette année, nous en avons eu besoin et la question posée est celle du niveau d’acceptabilité du risque de défaillance : n’accepter qu’un maximum de trois heures par an nous place parmi les meilleurs dans le monde… Soyons-en fiers, car peu de pays en sont là ! C’est bien la qualité de notre système énergétique qui permet cela.

Enfin, je pense que nous nous dirigeons vers une moindre consommation globale, ce qui n’est pas plus mal si nous réussissons à gérer ce phénomène. La CRE doit aussi être en capacité de vous éclairer sur ce sujet. Cependant, permettez-moi de vous livrer quelques-unes de mes interrogations. Quelles sont les conséquences du développement des véhicules électriques en termes d’énergie à produire et de distribution ? Influence de la baisse tendancielle de la consommation sur le parc nucléaire, tarification des réseaux, substitution de la fourniture d’une énergie par celle de services énergétiques… Ces sujets sont liés aux compteursLinky et Gazpar, qui font naître des craintes parmi certains de nos concitoyens ; il faut donc les encadrer, mais reconnaissons qu’ils ouvrent aussi des possibilités. Ces chantiers et ce changement structurel sont devant nous, la CRE doit y prendre toute sa part afin de les accompagner, tout en garantissant le bon fonctionnement du système.

La construction de l’Europe, qui me paraît être une évidence, pose d’abord la question des interconnexions et des marchés en pointe entre les pays européens. Faut-il travailler encore avec la Grande-Bretagne ? Que faire avec l’Italie ou l’Espagne ? En tout cas, je veux saluer l’initiative de RTE sur les systèmes en flux.

La proposition de quatrième paquet est indispensable et j’y suis favorable, mais elle pose un certain nombre de questions en termes de rigidité législative, de centralisation et d’uniformisation, alors que la mise en place des énergies renouvelables appelle, au contraire, finesse et décentralisation. En outre, il prévoit un niveau de régulation qui pourra apparaître comme politiquement inexplicable : comment les sénateurs de Bretagne vont-ils justifier qu’un délestage à Quimper a été décidé à Ljubljana ?

L’énergie n’est pas une compétence propre de la Commission européenne, elle est partagée avec les États membres : la Commission fait donc une proposition et les États doivent se prononcer. Une extension des compétences nécessiterait un changement de traité. Le temps du débat et des décisions vient et il faut que la CRE puisse aider le Gouvernement et le Parlement à construire cette nouvelle Europe énergétique.

D’ores et déjà, je note le caractère éminemment technocratique du système des codes réseaux, tant dans leurs méthodes de construction que dans leur approbation en comitologie. En outre, le sujet de la précarité énergétique me semble devoir être mieux pris en compte.

Le marché de l’énergie joue un rôle central dans la solidarité intra-européenne et la CRE doit tenir toute sa place au sein des instances européennes compétentes, comme l’agence de coopération des régulateurs de l’énergie (ACER) et la conférence des régulateurs, pour défendre les positions et le modèle français. Encore faut-il qu’elle en ait les moyens humains et budgétaires ! Je n’ai pas encore approfondi ces sujets… Je pense que la France peut, grâce à la CRE, peser au maximum sur la mise en place de ce quatrième paquet grâce à nos représentants au sein des organes que je viens de citer. La CRE doit être en première ligne à Bruxelles et auprès de vous pour élaborer au profit du Parlement un corpus de réflexions sur ces sujets à la fois très techniques et sociétaux.

Voilà les principaux éléments, monsieur le président, que je souhaitais vous soumettre. Il me semble nécessaire de rassembler tous les acteurs : le Parlement, le Gouvernement, les producteurs, les gestionnaires de réseau de transport ou de distribution, les consommateurs, les citoyens… Je pense que la CRE peut être ce petit ferment qui permet, ensemble, de tracer un chemin partagé. Je souhaite d’ailleurs saluer le président Ladoucette, qui, après Jean Syrota, a indéniablement marqué cette institution ; il a pesé sur le paysage énergétique. Qu’il en soit remercié !

En conclusion, la CRE doit d’abord remplir pleinement et à temps ses compétences, afin d’accompagner les évolutions majeures dont je viens de parler. Elle doit ainsi concourir au fonctionnement du marché de l’électricité et du gaz naturel au bénéfice des consommateurs et en cohérence avec les objectifs de la politique énergétique, notamment la réduction des gaz à effet de serre, la maîtrise de la demande en énergie ou le développement des industries renouvelables. Cela touche des questions de prix, de marchés, de réseaux, de zones non interconnectées ou d’appels d’offres des énergies renouvelables et notre présence dans les instances européennes est importante pour y apporter les réponses justes.

Je souhaiterais, en tant que président du collège de la CRE, être très présent en personne à Bruxelles pour appuyer les positions de notre République. La CRE, organe de réflexion et d’information équilibré, ne doit pas se substituer aux choix politiques, mais être au service des politiques, sous l’autorité du Parlement auquel elle rend compte. Indépendante du Gouvernement, elle est au service de la Nation – cela va mieux en le disant. Think tank permanent, elle permet qu’ensemble les partenaires nationaux de la construction de l’Europe énergétique tracent des chemins de convergence et dessinent l’avenir ensemble. Je souhaite qu’elle soit un intervenant majeur auprès des instances européennes et un vecteur pédagogique. La constitution des nouveaux équilibres énergétiques ne peut se faire sans convaincre les citoyens. Le président de la CRE, seul, n’est rien. Toutes les décisions sont collégiales, avec un collège intransigeant, courageux, pleinement conscient du devoir d’ingratitude que vous pourriez me confier. Tous les avis et décisions seront pris dans le plus grand respect de la déontologie et des règles d’éthique que vous avez rappelées dans la loi organique du 20 janvier 2017. J’espère vous avoir convaincus que je peux être utile à mon pays dans ce poste où peut se construire son avenir énergétique, notre avenir. Il faut un peu de courage, de détermination ; je n’en manque pas ».

Points de repère 
 
Auditions audiovisuelles
 
07/02/2017 – Audition de Jean-François Carenco par la commission des affaires économiques a duré 1h34 ICI. 08/02/2017 – Audition au Sénat a duré 1h ICI
 
Articles
 
16/02/2017 – Un pas de plus vers la CRE ICI
Cette nomination a entraîné toute une série de modifications au niveau des préfectures de Région.
17/02/2017 Région Auvergne – Rhône-Alpes ICI  
17/02/2017 Région Pays de la Loire ICI


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