SAINT-NAZAIRE – (France-U.E.) – 21/08/2009 – 3B Conseils – Le récit en compagnie duquel je vous laisse pendant mes 10 jours de vacances est celui de l’incroyable aventure de l’île AZ inspirée de la Standard-Island du roman de Jules Verne  » L’île à Hélice » publié en 1895. Dans ce roman (disponible gratuitement en ligne sur Wiki source ICI), Verne écrit au chapitre 5 :
 » Standard-Island, – qu’on peut traduire par «l’île-type», est une île à hélice. Milliard-City est sa capitale. Pourquoi ce nom ? Évidemment parce que cette capitale est la ville des milliardaires, une cité gouldienne, vanderbiltienne et rotchschildienne. (…) Une île artificielle, c’est une idée qui n’a rien d’extraordinaire en soi. Avec des masses suffisantes de matériaux immergés dans un fleuve, un lac, une mer, il n’est pas hors du pouvoir des hommes de la fabriquer. Or, cela n’eût pas suffi. Eu égard à sa destination, aux exigences qu’elle devait satisfaire, il fallait que cette île pût se déplacer, et, conséquemment, qu’elle fût flottante. Là était la difficulté, mais non supérieure à la production des usines où le fer est travaillé, et grâce à des machines d’une puissance pour ainsi dire infinie.(…) Standard-Island est une île en acier, et la résistance de sa coque a été calculée pour l’énormité du poids qu’elle est appelée à supporter. (…) Dans sa forme ovale que les constructeurs lui ont donnée, elle mesure sept kilomètres de longueur sur cinq kilomètres de largeur, et son pourtour est de dix-huit kilomètres en chiffres ronds « .

Exactement 100 ans plus tard, en 1995, l’architecte Jean-Philippe Zoppini, qui s’intéresse déjà depuis un certain nombre d’années au développement de l’habitat flottant et aux îles artificielles – notamment dans le cadre de l’extension sur la mer du territoire de la Principauté de Monaco (cf. Illustration Fontvieille 2) – se propose de réactiver l’idée de la Standard Island de Jules Verne. Il fait alors à la société Alstom Marine la proposition d’un paquebot-île d’un genre inédit appelé « Trimaran AZ1 » et pouvant héberger 200 cabines. Alstom Marine est emballé. La société trouve même que le projet mérite d’être encore plus spectaculaire. Alstom Marine demande alors à Zoppini d’en agrandir les dimensions. Standard Island devint donc « l’Ile AZ » (pour Alstom-Zoppini donc) : un paquebot-île aux dimensions titanesques de 10 ha, pouvant accueillir jusqu’à 10 000 personnes (plus le personnel) et navigant à une vitesse de 10 nœuds. Le coût de ce projet est alors évalué à environ €2,5 milliards (soit un prix au mettre carré largement inférieur à celui des paquebots de luxe).

A l’aube du nouveau millénaire, cette collaboration entre l’architecte et les chantiers Alstom de Saint-Nazaire accouche d’un projet (sur le papier) de forme ovoïde (400 m de long sur 300 m de large), assez éloigné des 7 kms sur 5 de Jules Verne, mais culminant tout de même à 78 mètres au-dessus du niveau de la mer dans sa partie la plus haute. Dans ce premier projet, un pont-promenade paysagé d’un kilomètre serpente autour de l’île. Il est parsemé de terrasses de cafés et de restaurants avec vue imprenable sur la mer. La surface des cabines est plus grande que celle des paquebots classiques, mais l’espace alloué aux 150 suites reste semblable. Il est prévu que l’intérieur de ce paquebot-île soit entièrement dédié aux loisirs et au bien-être. Le centre de l’île quand à lui est occupé par un véritable lagon de 10.000 m2, sur lequel on prévoit de bâtir une petite île (une île dans l’île) accessible par des chemins situés à fleur d’eau ! Egalement prévus : une plage pour le départ de planches à voiles, un port de plaisance pour petits voiliers, bateaux à moteurs, jet-skis… Un peu trop importante (c’est un euphémisme!) pour accoster dans un port de dimension normale, l’Ile AZ prévoit d’offrir un service de bateau navettes d’une capacité de 600 passagers (de vrais petits paquebots!) permettant d’aborder la terre ferme. Les passagers les plus privilégiés de l’île ont la possibilité de s’y rendre avec leur propre yacht amarré dans le port d’AZ ou même en hélicoptère, plusieurs héliports parsemant la surface d’AZ.

Coôté propulsion : conçue sur la base d’une plate-forme flottante métallique de 12m de tirant d’eau, l’île est équipée de pods, sortes de gouvernails propulsifs, qui lui permettraient d’atteindre la vitesse de 10 nœuds, vitesse indispensable pour s’écarter efficacement des zones dangereuses. Entièrement autonome, l’île se veut, dès ce premier projet, écologique . Il est prévu que tout y soit recyclé et qu’aucun déchet ne soit rejeté à la mer. Noble intention ! Conçue pour apporter une sécurité maximum à ses occupants, l’Ile AZ doit résister à des creux de 20m, à des tempêtes tropicales, à des cyclones… Si la Standard Island de Jules Verne invitait les milliardaires à sillonner le Pacifique, l’Ile AZ propose dans un premier temps de  » paqueboter  » dans les eaux Caraïbes. Nous sommes alors à l’aube de l’an 2000, les espoirs les plus fous agitent les protagonistes de l’opération.

En 2002, la recherche, la conception et les modalités de construction sont déjà réalisées. Le montage financier du projet est bouclé autour d’un budget prévisionnel de €2 milliards. L’Ile AZ entre dans sa phase de commercialisation. On prévoit alors que sa construction va durer 4 ans. Et chez Alstom Marine on sait de quoi l’on parle puisque la société construit alors le plus grand paquebot du monde : le « Queen Mary II » pour 780 millions d’euros. Au début de l’année 2005 Alstom Marine se dote d’un plan stratégique d’amélioration de performance,  » Marine 2010  » dans lequel s’inscrit pleinement la réalisation d’un ouvrage tel que l’Ile AZ. Mais l’année 2006 va faire évoluer différemment cette ambition. Peu de temps après avoir été rendu public par Alstom, le projet de l’Ile AZ est soudainement abandonné, car jugé irréalisable. Le coût de la construction de plus de €2 milliards – qui ne semblait jusqu’alors ne poser de problème à personne – devient tout à coup un problème insurmontable. Pourtant proportionnellement à la surface proposée, l’île AZ reste moins chère au m2 que le Queen Mary II. Alstom Marine avance enfin comme ultime argument à son abandon,un inconvénient technique de taille (si je peux dire) arguant de ce qu’ aucun bassin au monde n’est assez grand pour pouvoir assembler une telle construction et ceci indépendamment du fait qu’aucun port n’aurait pu déjà accueillir l’Ile AZ une fois construite (ce que l’on savait depuis le début). Officieusement on sent comme une désaffection d’Alstom via à vis du projet. Et pourtant officiellement en cette même année 2006, une étude de faisabilité réalisée par Alstom, juste avant son rachat par Aker Yards, ne fait apparaître  » aucune difficulté majeure de construction, sinon des problèmes de logistique inhérents à une structure d’une telle dimension « . Selon l’architecte, l’ensemble des constituants est composé d’éléments modulaires permettant un assemblage relativement simple. Le flotteur peut être réalisé dans les chantiers de Saint-Nazaire, par éléments de 30m x 40m. L’assemblage des sept éléments de 400m constituant la base du navire serait réalisé en pleine mer dans un lieu à l’abri de la houle. Un plan détaillé d’entretien de l’île-paquebot est même imaginé par Jean-Philippe Zoppini. Les opérations d’entretien de l’île auraient lieu dans une marina dédiée à l’Ile AZ, quelque part au Venezuela, marina dans laquelle des robots sous marins assureraient l’entretien de la coque, ce type de bâtiment étant impossible à mettre en cale sèche. Et pourtant malgré toutes ces assurances, Alstom Marine va tout de même opérer une volte face spectaculaire et renoncer tout d’un coup au projet. Pourquoi ? La réponse est d’ordre stratégique : s’étant séparé des Chantiers de l’Atlantique, sa filiale de construction navale, en 2006 au profit de la société Aker Yards, le groupe français Alstom Marine n’a plus d’intérêt à voir ce projet aboutir. Et le soupçon commence alors à naître. D’aucuns murmurent que l’idée de l’Ile AZ aurait surtout été développée pour remplir de façon conséquente le carnet de commande des Chantiers de l’Atlantique avant leur mise en vente… En 2007, en tout cas, le projet est abandonné par Alstom.

Mais le repreneur des Chantiers de l’Atlantique, Aker Yards, ne l’entend pas du tout de cette oreille. A la fin de l’année 2007, le projet de l’Ile AZ porté par l’enthousiasme du directeur général des ex-Chantiers de l’Atlantique, Jacques Hardelay, est remis sur la table par Aker Yards. L’architecte Jean-Philippe Zoppini indique, quant à lui, qu’un client serait intéressé par le projet mais qu’aucune participation ne pourrait être envisagé avant 2015 ou 2016. Dans un article paru dans le meretmarine.com du 17 Octobre 2007 on peut alors lire :  » Les chantiers de l’atlantique indiquent que :  » Si ce projet voit le jour, il constituera un véritable challenge technique pour le constructeur (…) Industriellement parlant, cela demanderait de trouver des solutions sur un produit hors normes « . Bien que disposant en effet de la plus grande cale d’Europe, longue de 420 mètres pour une largeur de 90 mètres, Saint-Nazaire ne possède pas une forme de construction suffisamment grande pour accueillir l’intégralité de l’Ile AZ. Jean-Philippe Zoppini prend alors contact avec des chantiers à Dubaï. L’architecte qui a conçu plusieurs projets pour la Principauté de Monaco, dont l’ « Ile Verte », parc de loisirs à structure flottante, et « Fontvieille II », cité de 16 ha gagnée sur les flots, faisant face à l’actuel port, reprend ses maquettes de plus belle.
« L’île AZ, déclare-t-il, préfigure une nouvelle génération de structures flottantes utilisées pour les loisirs et pouvant se laisser glisser le long des côtes dans un total respect de la protection de l’environnement. En fonction de l’organisation des séjours, il est possible de rester amarré d’une semaine à plusieurs mois dans un site, avant de repartir vers d’autres destinations « .

Dans cette nouvelle maquette, le défi écologique du premier projet est maintenu et amplifié : les 12m de tirant d’eau de la structure sont utilisés pour contenir les salles des machines, le traitement des déchets et des eaux usées, la production d’eau douce, la production énergétique, avec un recours envisagé aux énergies de la mer notamment par le biais d’un mix énergétique mêlant hydroliennes, éolienne sur l’ile, et climatisation par l’eau froide des profondeurs. Le respect de l’environnement maritime étant l’une des principales difficultés de l’habitat flottant, Jean-Philippe Zoppini assure de nouveau à l’occasion de ce projet que :  » Sur la nouvelle Ile AZ, tout sera recyclé. Ce qui ne l’est pas, sera stocké puis ramené sur le continent « .
Dans cette nouvelle maquette, le verre est très présent dans tous les bâtiments tournés à la fois vers le lagon intérieur et vers l’entrée principale, qui se trouve à l’opposé des bassins arrières. Les infrastructures d’accueil, d’administration et de loisirs sont placées au plus bas. Aux niveaux supérieurs se trouvent les piscines, tennis, bowlings, terrains de basket, mini-golf, salles de jeux, casinos, salles de théâtre et cinéma, salles de gymnastique, thalasso, centre de fitness, restaurants, centre d’affaires… Plus en hauteur, là où convergent tous les escaliers de secours se trouvent 50 chaloupes, les cabines du personnel naviguant, des locaux techniques, un centre internet, un centre informatique, un centre médical. Certaines des données de structures navales sont revues : la base de l’île reste de forme ovoïde de 300m de large, 400m de long, mais ce ne sont plus 10.000 cabines qui sont envisagées mais 4000 pouvant héberger 10.000 occupants. L’île paquebot comprend désormais 150.000m2 de logements et 150.000m2 de surface commerciale. Plus question de se déplacer à 10 noeuds. L’île dérive lentement partout dans le monde en faisant du cabotage à une allure de 0,5 à 1 nœud. En 2008, Aker Yards donne définitivement son accord sur le nouveau projet et l’architecte entame les négociations, en particulier avec l’émirat de Dubaï, ou de sérieux espoirs que son idée aboutisse en 2009 se dessinent.
Mais de nouveaux bouleversement financiers vont en décider autrement. En pleine crise financière, en novembre 2008, sonne l’heure du rachat de Aker Yards par la société coréenne STX Shipbuilding, n°4 de la construction navale mondiale.
Aker Yards renommée STX Europe et les Chantiers de Saint-Nazaire renommés STX France Cruise reposent un voile épais (très épais) sur le projet  » île AZ « dont il ne reste plus aucune trace dans le prestigieux carnet de commande de la nouvelle compagnie (ICI bas de page).

En cet fin d’été 2009, le projet semble bel et bien avoir été à nouveau abandonné. Est il possible qu’il le soit vraiment ? Jules Verne n’est-il pas traduit en coréen ?! Le phoenix ne renaît-il pas de ses cendres dans toutes les cultures ?! Dubaï ne serait-il plus toujours Dubaï ? Quelques espoirs sont encore permis, mais il y a peu de chances que l’Ile AZ croise au large de Shangaï en 2010 et l’histoire, pour l’instant, se termine… en (triste) queue de poisson !

En tout cas Jean-Philippe Zoppini, quant à lui, n’a, heureusement pas abandonné ces beaux rêves d’îles à hélice ni ces impressionnantes propositions de cités flottantes. Sur le site de son agence d’architecture Zoppini architecture on peut constater, non sans délices (!), que l’Ile à hélice est toujours là même si elle a été rebaptisée : Ocean Island I et Ocean Island 2 (cf. deux dernières illustrations). Deux îles qui attendent patiemment leur heure, avec ou sans lagon intérieur.
Sur ce, By by, Ciao Ciao …et rendez-vous le 1 septembre pour d’autres aventures en mer.
D’ici là, je vous laisse en compagnie de nos 3 années d’archives (eh oui déjà!) accessibles par recherche de mots clés ou par recherche Google…

Article : Francis ROUSSEAU

Docs : sites liés. Illustrations © Zoppini Architecture.


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